Un personnage fictif existe-t-il vraiment ?

Un personnage de papier, inventé de toute pièce, existe-t-il vraiment ? N’existe-t-il que dans la fiction qui le met en scène ou lui est-il possible de déborder de ce cadre contraint pour investir d’autres mondes, à savoir le nôtre ? Autrement posée, la question revient à savoir s’il existe une distinction nette entre fiction et réalité. Mais, finalement, qu’est-ce que la réalité ?
Un personnage de fiction est très souvent, voir quasi systématiquement et dès lors qu’il ne fait pas explicitement référence à une personne réelle, une construction qui mobilise de nombreux référents. Ceux-ci peuvent exister dans le monde du réel : une ou des personnes connues par l’auteur, rencontrées, des souvenirs, etc. Ils peuvent également exister ailleurs : des personnages d’autres romans, d’œuvres cinématographiques, etc. Un personnage romanesque cristallise donc des influences multiples, est fait d’une agrégation de modèles différents, comme l’explique si bien Marcel Proust dans une de ses lettres : « Il n’y a pas de clefs pour les personnages de ce livre ; ou bien il y en a huit ou dix pour un seul ; de même pour l’église de Combray, ma mémoire m’a prêté comme « modèle » (a fait poser) beaucoup d’églises. Je ne saurais plus vous dire lesquelles. Je ne me rappelle même plus si le pavage vient de Saint-Pierre-sur-Dives ou de Lisieux. Certains vitraux sont certainement les uns d’Évreux, les autres de la Sainte-Chapelle et de Pont-Audemer. Mes souvenirs sont plus précis pour la Sonate. » (Lettre de Marcel Proust à Jacques de Lacretelle, Paris, 20 avril 1918).
Or certains personnages romanesques ont cette capacité de vivre au-delà de leur cadre contraint. Un Pantagruel, un Don Juan, une Lolita, un Rocambole ne sont plus désormais de simples créations fictives : ils s’incarnent très souvent au travers de personnes connues, réelles. En fait, ce n’est pas tant le personnage qui investit notre monde qu’une caractéristique particulière qu’il met en scène.
Pour autant, nous existons tous au travers des représentations que les autres se font de nous. Parfois ces représentations passent par le filtre de la littérature, d’un personnage qui semble symboliser à merveille celui qui se trouve en face de nous.
Quand vous lisez un roman et qu’une fois le livre est refermé, vous vous imaginez parfois à la place de l’un personnages mis en scène, vous lui donnez vie dans votre monde, votre réalité, qui n’est pas la mienne, mais une réalité parmi tant d’autres. La littérature est un espace des possibles où les personnages existent en tant qu’ils sont des créations qui disent beaucoup sur notre monde, celui que nous partageons. Ils sont une expansion de nous-mêmes.
On me demande souvent si Vanessa, mon héroïne principale, existe vraiment, si je me suis inspiré d’une personne réelle. Je réponds invariablement comme Proust – le talent en moins, bien sûr – qu’il n’y a certes qu’une Vanessa littéraire mais de multiples Vanessa dans le monde du réel. Des Vanessa réelles, rencontrées, croisées, entendues, aperçues, avec lesquelles j’ai vécu ou non des histoires, des Vanessa qui prennent désormais une forme romanesque afin qu’aucune d’elle ne disparaisse dans les limbes de mon cerveau d’écrivain en herbe.
Un personnage fictif existe donc vraiment, à la fois par ses origines et par son devenir, celui que lui donne le lecteur. Un personnage fictif existe par le lecteur, pour le lecteur, dans le lecteur. Et peut-être sommes-nous tous d’ailleurs les personnages d’une histoire que nous ne soupçonnons pas...