Un roman, des lectures ? Constantes et variables anthropologiques

Écrire est un acte qui pour de nombreux romanciers revêt un caractère impérieux. C'est comme manger, boire, dormir. Impossible de s'en passer. Une nécessité qui s'impose à nous comme une évidence. Notre cerveau bouillonnent d'idées à mettre en forme, tel un puzzle à constituer par l'écrit, par les mots. Et, dès lors qu'il sont posés sur le papier, la cocotte-minute redescend en température. On va mieux, beaucoup mieux. Avant une nouvelle poussée de fièvre.

Celles et ceux qui écrivent ne destinent pas forcément leur production vers l'édition. C'est un acte personnel qui ne renvoie qu'à soi. L'auteur et le lecteur ne forment qu'un. Ils sont la même personne. L'exemple emblématique étant bien évidemment le journal intime. Mais, il est cependant singulier de constater que ces écrits évoluent avec le temps. Plus exactement, la lecture que fait l'auteur de son texte ne restera pas définitivement la même. Le regard change à la faveur d'expériences nouvelles, d'une histoire personnelle en mouvement. Si le texte est le même, son appréhension, sa saisie évolue. Certaines lectures restent les mêmes (les constantes), d'autres se sont modifiées (les variables).

Cette réalité est encore plus évidente pour les textes publiés. Tous les auteurs vous le diront : il y a autant de lectures de votre roman que de lecteurs. Les lecteurs projettent sur votre écrit des représentations, une histoire, des vécus qui n'appartiennent qu'à eux. De sorte que votre création vous échappe. Elle sort de l'enclos où vous la pensiez enfermée pour s'évader dans les contrées voisines : les territoires des lecteurs.

Pour autant, toute lecture repose sur des constantes (que l'analyste essaye d'identifier) et sur des variables (qui n'appartiennent qu'aux lecteurs). Lorsqu'un roman parle au plus grand nombre, cela veut peut-être dire qu'il met en scène des constantes qui traversent les sociétés, les générations, les cultures. Les plus grandes œuvres littéraires reposent d'ailleurs sur la mise en scène de ces constantes qui relèvent de l'anthropologie (culturelle). Il semblerait ainsi que certaines auteurs soient capables plus que d'autres de se saisir, consciemment ou inconsciemment, de ces constantes anthropologiques et de leur donner une forme nouvelle dans le cadre d'un récit romanesque. C'est ce que j'essaye de montrer dans mes travaux sur Jules Verne (lien) et Marcel Proust (lien).

Quelles qu'en soient les lectures faites, aussi variables et multiples que les lecteurs, les plus grands romans offrent ainsi des constantes, des invariants anthropologiques qui agissent tous sur nous. Le lecteur s'en saisit à sa façon, par sa lecture, ses projections, ses désirs, attentes, identifications. Et lorsque le lecteur se fait analyste, il peut alors les repérer, les présenter, les analyser. Et quand le lecteur se fait romancier, il peut alors essayer à son tour de les remettre en scène dans l'enclos de son imaginaire, ouvert et fermé à la fois. Une boucle bouclée. Une tour de Babel sans fin. Un édifice infini. La littérature, en somme.